----- du 05 Juin au 12 Juin ------
Commençons par notre dicton du mois : "Au mois de Juin, quand tout va
bien, n'oublie pas de faire de gros câlins à ton conjoint !"
Pour passer la frontière russe, il nous faudra plus d'une heure. Contrôle
n°1 (passeport tamponné), contrôle n°2, fouille de tous les bagages (heureusement,
les douaniers s'intéressent plus à nos cartes routières qu'à notre bouteille
d'essence, notre trousse à médicaments ou notre sac à nourriture. Ils
souhaitent savoir si nous sommes armés. Non, pas d'arme!) C'est bon mais
il faut que dans 3 jours maximum, nous nous soyons enregistrés auprès
des autorités de l'immigration. La route se poursuit sous la chaleur et
un ciel couvert. L'asphalte est en bien meilleur état qu'en Ukraine. Immenses
champs et plaines à perte de vue. Entre les collines, des résineux. Les
odeurs de sève de pins nous font penser à nos bords de plage de Charente-Maritime.
30km plus loin avec l'arrivée de la pluie nous décidons de stopper. Petit
aparté : sur les trois premiers mois de voyage, nous aurons eu pratiquement
un mois de temps maussade ! Première demande à un riverain russe. Pas
possible mais il va voir en face la gérante du shop du village pour pouvoir
planter la tente sur le terrain du magasin. Elle accepte, on lui explique
notre route qui mène à Pékin. Une cliente, 55 ans, prend pitié et nous
invite à dormir chez elle ! Comme beaucoup, elle pense qu'il est impossible
de dormir confortablement dehors. Repas, douche, informations T.V. et
nuit au chaud...... ça commence très fort... Nous n'arrivons pas à comprendre
son prénom alors nous la surnommons "babouchka" (grand-mère en langue
russe).
Au matin, elle et son mari, accompagnés de leur petite-fille, nous accompagnent
en ville pour nous enregistrer auprès du bureau de l'immigration. Allez
hop, tous dans la lada bleue familiale. Pas de ceinture de sécurité à
l'arrière, pas de siège enfant pour la petite. Voiture très confortable
avec suspensions très souples. Arrivés au poste et après 30 min d'attente,
on nous répond que cela ne sert à rien vu que l'on est en transit (voyage
vélo). L'enregistrement selon ce policier n'est obligatoire qu'après 3
jours au même endroit. Y a plus qu'à attendre la frontière kazakh pour
vérifier ses dires. Cette sortie en ville est l'occasion de retirer nos
premiers roubles dans un distributeur. Jusqu'à maintenant, retirer une
somme définie était possible mais ici c'est 100, 500, 700, 1000 ou 5000
roubles ! Y a déjà du choix, faut pas se plaindre !!! Au retour vers leur
maison, ils nous achètent des boites de conserves de thon à la tomate
et des bananes. Et au moment de reprendre les vélos, ils insistent pour
nous conduire sur la bonne route. C'est donc pendant plus de 10 km qu'ils
jouerons le rôle de poissons pilotes. Géniaux. Impression d'une 2ème famille.
Confirmation au moment des "au revoir" car c'est accolades et caresses
amicales dans le dos. Signes de croix... Beaucoup d'émotions. Le soleil
tape, les collines s'enchaînent, les villages sont espacés de plus de
50km. Un abri-bus nous accueille pour le repas de midi. A l'ombre, repos
réparateur. L'après-midi n'est qu'une succession de côtes et descentes
avec comme paysage impressionnant les interminables collines russes. Vers
17h00, enfin un village. Arrêt obligatoire à la boutique du coin pour
acheter pâtes et eau. Nous achetons carrément des bombonnes d'eau de 5
litres maintenant. à la sortie de la boutique, 2 russes nous prennent
en photo. Le Mr nous fait 2 signes. Le 1er, c'est celui de manger ("couchette
!!") et le 2ème c'est ne pas payer. Manger sans payer, là aussi faut pas
nous le proposer 2 fois ! En fait, Valodian et Svieta sont les patrons
du restaurant d'à côté. Ils ont respectivement 55 et 34 ans et leur enfant
a 3 ans. Au menu: le traditionnel Borsh, puis assiette de Grietchka (blé
triangulaire) avec une grosse boulette de viande, oignons... qui s'appelle
Katlieta. Suivra ensuite en dessert un Pérojna (éclair à la crème) avec
une tasse de thé pour Fanny et un cappuccino pour moi. Pour finir quelques
cerises! Pendant le repas, Svieta explique que si le repas nous est offert,
c'est qu'elle nous à vu à notre pause de midi sous l'arrêt de bus alors
qu'elle revenait de la ville ! De nouveau sur la route, une quinzaine
de kilomètres plus loin, un petit chemin sur la gauche attire notre attention
! Au bout : un petit village. La 2ème maison sur la droite accepte notre
présence. C'est une famille sympa, discussion comme souvent autour des
prix en France par rapport à la Russie. Un des jeunes parle quelques mots
d'anglais, la communication en est ainsi simplifiée. La jeune femme de
la famille apporte des beignets fourrés. A quoi ? On ne saura jamais mais
ils sont bons et passent bien à la digestion ! L'heure d'aller au dodo
approche, nos voisins d'un soir rentrent chez eux, nous en faisons de
même.
8h00, il faut se lever comme on l'avait annoncé la veille. Les enfants
attendent d'ailleurs notre départ ! C'est reparti, après une poignée de
main. Journée longue en kilométrage. Avec la chaleur qui règne en ce moment,
la pause midi est indispensable. Minimum 4h de pause. Le soleil au Zénith
nous cuit littéralement les bras. Le paysage est superbe, les plaines
s'étendent à perte de vue. Les routes deviennent très rares. La circulation
est quasi-inexistante. L'heure de trouver un bivouac approche. Encore
un petit chemin en terre qui va nous mener 500m plus loin sur un terrain
très propice au plantage de tente. Chien de prairie pour nous saluer dans
le champ d'en face. Oiseaux de toutes sortes et même d'étranges mille-pattes
gris de 5cm de long. La nuit sera bonne malgré une bestiole (rat, furet,...
?) qui a rodé autour du bivouac pendant la nuit et la matinée suivante.
Cette matinée est d'ailleurs consacrée au ménage, vaisselle, linge, récit,
dessins, gros câlins. Ces derniers se raréfiaient : fatigue, rencontres
inopinées. La pluie fait son apparition jusqu'à 15h, heure à laquelle
nous levons le camp. 30km plus loin un petit village nous appelle. Petite
journée mais arrêtons-nous quand même ! Une jeune femme donne l'autorisation
de s'installer sur la pelouse devant sa clôture. On installe tout, mange,
commence à préparer le lit douillet, et à ce moment là arrivent des voisins.
Ils se lancent dans des explications incompréhensibles puis la jeune femme
nous fait des signes dont voici la traduction: "quand vous dormirez, nous
viendrons vous voler vos vélos et vous Franssouzes vous repartirez à pieds"
!!!!!!! Rien que ça, des menaces !!! Je commence sérieusement à m'inquiéter.
La grand-mère qui est à côté nous conseille de ne pas dormir ici, mais
plutôt chez elle. Bon OK mais nous ne sommes toujours pas rassurés, surtout
que le jeune homme me demande si je suis armé! Je fais le mec qui ne comprend
rien. Arrivé à la maison, le chien de garde me pince le mollet droit.
Pas de bobo, heureusement. Les propriétaires nous assurent qu'ici ça ne
craint rien. OK, de toute manière si c'est un piège, nous sommes tombés
dedans ! La soirée se poursuit finalement très agréablement. Malgré nos
explications, ils nous resservent à manger. On doit vraiment paraître
très maigres ! Tasse de thé et biscuits suivent. Les vélos sont gardés
par le chien qui m'a pincé, les bagages sont rangés dans une pièce noire
sans éclairage et le reste de nos sacoches prend place dans l'entrée de
la maison. Les passeports et argent dorment avec moi. Le grand-père nous
met la télévision. C'est automatique, dès que l'on rentre chez quelqu'un,
c'est télé. 2 raisons: la première sûrement par fierté d'avoir une belle
télé qui trône au milieu de leur salon. 2ème raison et certainement la
principale, ils pensent que cela doit nous manquer. Il n'en est rien.
Enfin si un peu, j'aimerais bien regarder le tour de France en juillet
! Au programme, sport, il aime le football et nous sommes en plein Euro
2008 ! Ce soir, c'est Autriche-Croatie, les croates gagnent 1-0. J'apprends
que les français ont battu les italiens. Ah quand même! Ensuite c'est
natation, peut-être un championnat russe? Pendant ce temps, Fanny faisait
sa toilette; je la retrouve toute propre et en chemise de nuit russe,
mode des années 20. Trop craquante ma petite mamie de 26 ans !!!!
Au matin, c'est repas de roi. Ils nous offrent en plus des oeufs, cornichons,
biscuits, gâteaux, saucisson, saucisse, thé et sel pour la route. Incroyable,
nous qui pensions tomber dans une embuscade, nous voilà ravitaillés !
La mamie est d'ailleurs très émue. Ils sont émerveillés par nos vélos
et par la quantité et le volume de nos bagages ! "Y sont tout maigres,
ils font comment pour transporter tout ça !!!" Le soleil ne tape plus,
il cogne. La température monte inexorablement, et nous devons avancer.
Midi, 30km de fait, impossible d'aller plus loin, il fait trop chaud.
A 15h, le thermomètre annonce 50 degrés au soleil alors que la température
baisse déjà, à l'ombre il fait 27 degrés. Repas, grignotage, photos...
Ah oui, j'oubliais, ce matin, nous avons assisté tout à fait par hasard
à la naissance d'un veau ! Sur la route, un pont, nous stoppons pour voir
les poissons dans l'eau. Il y en a mais de l'autre coté une vache grise
est prête à mettre bas. Nous attendons donc que le petit se décide à sortir,
soit 1 heure; le jeune apprenti fermier qui doit avoir 10 ans est formé
par son papi. Aujourd'hui c'est travaux pratiques. Et voilà, un petit
veau tout gris et tout flasque ! 30 min plus tard, il ressemble enfin
à un veau ! Sa maman l'a tout nettoyé et il essaye déjà de se lever !
16h30, ça y est, le soleil s'est calmé. La route nous conduit dans un
autre petit village. Arrêt : ravitaillement d'eau. L'épicière n'en a pas
mais une cliente se propose de nous en donner. Arrivés chez elle, elle
nous offre 5 litres d'eau du robinet. Devant tant de gentillesse, moi
j'abuse! Présentation de la carte pour faire dodo et hop nous voici encore
accueillis chez l'habitant ! Ce soir, c'est Vira et Sacha qui se font
un plaisir de nous héberger. Alors que je suis en train de planter la
tente, ils insistent pour que l'on dorme dans leur lit à la maison. Vous
notez bien, c'est eux qui insistent !! Pas moi. OK! Soirée géniale, repas
de fête, pain perdu et raviolis à la purée accompagnés de crème de lait
cru. Ce n'est pas de la crème fraîche du supermarché ! Là, le goût de
la vache est bien présent ! En plus, au nombre de fois où nous avons bu
du lait cru, notre estomac commence à s'habituer.Avant le repas, nous
avons regardé la T.V. avec leur fils "Sacha" (comme papa). Au programme
: DVD des tortues Ninja en russe jusqu'à l'arrivée de Sacha le père qui
a zappé sur le foot : France -Roumanie. Super des français, depuis le
temps que l'on n'en avait pas vu. Première mi-temps 0-0, si vous connaissez
le score final, vous pouvez nous envoyer un Email. Pendant la 2ème mi-temps,
nous avons regardé Vira (pas Viera, c'est fini le foot!) traire les vaches.
1 seau de lait à chaque fois ! Elle en ressort épuisée, son rythme de
traite est hallucinant ! "Allez au lit mes braves cyclistes" semble-t-elle
nous dire en russe! Dormir, on voudrait bien mais ce n'est pas facile
: imaginez un lit trop petit pour vous (je ne fais que 175cm) avec un
oreiller qui occupe 1/4 de la place et qui pèse 5kg ! Il n'y a pas de
porte aux ouvertures des pièces; gare à celui qui ronfle trop fort ! Et
quand je me cogne en haut d'une porte, on me fait comprendre que ce sont
des dimensions à la russe ! Il est vrai que les gens rencontrés sont plus
petits que moi.
Au matin, photo souvenir et déjeuner. Café, thé, oeufs au plat, salade
de radis et pousses d'oignons, le tout accompagné par des délicieux beignets
que nous trempons dans la crème crue. DELICIEUX ! Fanny : les russes ne
sont décidément pas à l'image de leurs hommes politiques froids et austères
car c'est encore chez l'habitant que nous nous endormons ce soir. Chez
Anatole, éleveur d'oies (150 oies élevées en plein air, parmi les chiens
et les chats, les canards et les poules). Il nous fait visiter sa ferme
: cochons, mini-biquettes, vaches, veau... Ainsi que son potager et nous
voilà, assiette en main à cueillir des fraises... Avant de se coucher,
Anatole, 70 ans, nous raconte (dessine) qu'il a travaillé 8 ans dans une
base secrète en Sibérie à surveiller les centrifugeuses qui séparaient
l'uranium utilisé pour l'électricité de celui utilisé pour la fabrication
de la bombe H. Un bâtiment à 5 étages de 32m de hauteur, 64 de large et
1 km de long. 10 000 ouvriers. 1 million de centrifugeuses. Une ville
dortoir à 25 km. Des températures entre -50 et +40°C. Il a quitté ce métier
il y a 18 ans maintenant et n'a plus jamais bougé de sa ferme en bois
qu'il a lui-même construite. Nous nous endormons à côté des couveuses
(comprenez avec le bruit d'une cabine d'avion) et les piaillements des
1000 poussins parqués dans une pièce à côté. Mémorable !!! Rajoutez aussi
les démangeaisons des multiples boutons de moustiques et sûrement d'autres
insectes qui nous couvrent les bras...
Le jour suivant, nous franchissons, avec petite fierté interne, la barre
des 5000 km au compteur. Repos vers midi au coin d'un champ de blé; nous
sommes souvent en compagnie de moucherons qui nous agacent et de jolis
papillons bleus que nous contemplons. Nous avons maintenant rejoint la
route nationale pour se diriger vers Volgograd. Pas très passionnante
: voitures, camions... Nous regardons autant dans le rétroviseur que devant
nous pour contrôler les trajectoires des véhicules. Certains, venant de
la voie d'en face, doublent à notre hauteur. Un fleuve vient d'être traversé
: pont sous surveillance policière, contrôle des papiers des véhicules.
Herse au milieu de la voie. Nous, on nous fait signe de passer sans regarder
nos passeports. Des étals de poissons séchés bordent la route. On nous
salue en riant. C'est fréquent. Voilà, une semaine passée en Russie et
c'est encore sous les aboiements d'un chien que nous nous endormons!
---------- du 13 juin au 20 juin --------
Volgograd! Nous y voilà! L'ancienne Stalingrad. Une ville longue de 60
km qui borde la Volga. Avec l'aide des policiers, nous trouvons notre
chemin pour atteindre le célèbre monument aux morts perché en haut de
sa colline : une statue de plus de 60 m de haut. Une femme poussant un
cri de guerre et levant avec menace son épée: la mère patrie de la Russie.
Le site nous semble aussi grand que celui des jardins de Versailles :
immense ! Accueillant de multiples statues à la gloire des héros morts
à la guerre, un bassin, une église orthodoxe, une arène souterraine avec
le nom des disparus écrit en mosaïque sur les murs; au milieu, une main
tenant un flambeau. Le tout accompagné d'une musique patriotique. Gardes
en uniforme à l'entrée. Site gratuit, avec des chemins lisses pour l'accès
aux vélos qu'il faut garder à la main. Après 2 heures de promenade, nos
estomacs crient famine. Nous trouvons un supermarché juste à côté et comme
à chaque fois que nous trouvons une grande surface, nous nous lâchons
sur la nourriture. Nous dépensons en une fois ce que nous avions dépensé
en une semaine !! Mais que ça fait du bien de manger des cuisses de poulet,
du surimi, des petits plats cuisinés à emporter... 30 minutes dehors à
attendre que l'autre ait fini les courses alors que dans les échoppes,
ça ne dure que deux minutes... Une fois nos vélos alourdis, nous repartons
à l'assaut de la ville : place centrale, théâtre, parc... Pas facile sans
plan mais nous réussissons quand même à trouver un magasin où nous achetons
une boussole (la nôtre était en train de rendre l'âme à cause d'une grosse
bulle d'air). Tous les magasins sont au rez-de-chaussée des immeubles.
Dans le centre-ville, il faut savoir qu'aux étages aussi, il y a des boutiques;
faut être curieux et pousser les portes. Nous mettrons plusieurs heures
à sortir de la ville et de son agglomération. Nous rencontrons d'ailleurs
à sa sortie Marcus, un suisse qui est parti il y a deux semaines faire
un tour du monde en Yamaha ténéré 750. 600 km par jour ! Il va donc 10
fois plus vite que nous. Son site : MOTONAUT.CH. Au soir et après plus
de 90 km de vélo, nous stoppons derrière des bosquets bordant la nationale.
Le bruit des voitures ne nous dérange pas mais les centaines de petites
mouches si !!! Bien protégés par la moustiquaire, nous dormons bien mais
c'est au moment d'installer la tente et de mettre les affaires à l'intérieur
que tout se complique. Il faut faire vite. Et elles piquent !!!!! Elles
sont des centaines dans l'abside ce qui attire plus tard dans la soirée
des mastodontes de libellules qui n'arriveront pas à toutes les dévorer.
Gaël trouve une astuce pour tuer celles qui souhaitent dormir avec nous
: non farouches, elles finissent scotchées. Nous avions acheté en Ukraine
du scotch pour l'envoi d'un colis en France (photos sur CD).
Le lendemain, nous décidons de ne pas longer la Volga (nous avons appris
par un sms d'Olivier, un autre cyclo-voyageur, qu'un couple d'allemand
s'y était fait manger par les moustiques !) Bon, nous allons donc faire
un petit détour par l'intérieur du pays. Erreur, les jours suivants, nous
nous rendons vite compte que la région est infestée de mini-mouches piqueuses
! Le paysage est marécageux. Il fait chaud, peu de vent. A chaque tentative
de pause (pour faire pipi ou manger ou juste se reposer), elles nous trouvent
vite et tournoient autour de nous, veulent rentrer dans nos oreilles.
Nous en sniffons quelques-unes ! C'est l'horreur. Mais c'est sans compter
l'ingéniosité de Gaël qui nous confectionne à une pause midi deux superbes
moustiquaires vertes pour visage. Fil et tissu achetés dans une échoppe
d'un village. Ouf, enfin tranquilles ! Enfin, seulement le visage car
nos bras nus sont des proies faciles. Nous devons rouler au minimum à
20 km/h pour s'en défaire. Heureusement, que la route est relativement
plate. Nous roulons en direction d'Elista, la ville principale de la république
de Kalmykia. Une région très différente de celles traversées jusqu'à présent.
Le faciès des gens est asiatique, peau bronzée. Comme si nous avions changé
de pays... Drôle d'impression. Les rivières sont asséchées. Nous dévalons
des collines à 15% pendant plus de 5km pour les remonter avec autant de
kilométrage. Dans une descente, le garde-boue arrière du vélo de Gaël
se détache pour la énième fois mais cette fois, ça sera la chute. A plus
de 30 km/h, il se bloque sous la roue arrière. Glissade assurée non maîtrisable.
Conséquences : 3 sacs étanches troués. La tuile. Gaël a juste un coude
égratigné mais le moral l'est beaucoup plus. Cet accident est la goutte
qui fait déborder le vase. C'est le début d'une longue période de questionnement
sur la longévité du voyage... Au soir, après une course contre la montre
avec un orage, c'est sous le toit de Valenta et Vala que nous trouvons
refuge. Lui fermier de 44 ans et elle vétérinaire de 41 ans. Ils nous
cocoonent; nous servent borsh, thé. Le repas est toujours servi dans une
annexe à côté de la maison en Russie. La salle de bain aussi. Ils nous
font chauffer la pièce d'eau avec un poêle à bois. C'est parti pour un
hammam. Il suffit de jeter de l'eau froide sur le poêle; vous connaissez
le principe d'un hammam!! Debout sur deux planches en bois, nous nous
aspergeons d'eau froide avec un pichet. Nous en profitons pour gratter
tout notre corps au savon. L'eau, sur le ciment, sèche très vite avec
la chaleur qui règne dans la pièce. Nous nous sentons enfin propres. Nous
lavons même nos vêtements dans une bassine; de la lessive en poudre est
mise à notre disposition. Au soir, Valenta nous met en garde contre les
"cliches"; apparemment des tiques mortelles. Il nous explique qu'il ne
faut pas respirer le poison qu'elles dégagent au moment de les enlever
et d'aller immédiatement à l'hôpital pour se faire injecter un antidote.
Le délai de survie est de 3 jours! Garder nos pantalons dans les chaussettes
est donc indispensable. Et bien, nous voilà rassurés pour la suite du
voyage ! Surtout que la description qu'il en fait correspond justement
à une bestiole chassée de la tente la veille au soir... C'est dans une
pièce à côté du salon que nous nous endormons. Lits simples séparés. Nous
trouvons difficilement le sommeil à cause des ronflements de Valenta endormi
devant la TV que Gaël éteindra vers 3h du matin.
Les jours qui suivent sont caniculaires. A 10h, le soleil est en position
micro-onde. A 12h, il est en position rôtissoire !!! Et nous ne trouvons
plus d'arrêt de bus pour nous mettre à l'abri. Les arbres se raréfient.
Nous entrons dans la steppe hostile de Russie. Nous avons quitté nos soucis
de la vie quotidienne mais ce sont des soucis de voyageurs qui commencent
à nous peser sérieusement sur le moral : entre les mouches, les "cliches",
les serpents, les coups de soleil, les orages à éviter, les villes à atteindre
avant le plus chaud de la journée, nous commençons à fatiguer. C'est avec
du coton dans les jambes, le sentiment d'être patraques, que nous roulons
en ce mardi matin 17 juin pendant près de 40km à travers la steppe inhabitée.
Heureusement, cette journée se révèlera exceptionnelle. Et tout commence
par un contrôle de police en haut d'une colline à 10km d'Elista. Présentation
des passeports, réponses aux questions habituelles "d'où on vient, où
on va, le kilométrage...". Au même moment, un automobiliste s'arrête,
questionne le policier à notre propos et nous offre du coup bouteille
d'eau et deux yaourts au fromage blanc. Le policier, Mingniane, nous invite
à dormir chez lui ce soir même s'il ne parle pas un mot d'anglais. Invitation
acceptée. Echange d'adresse, numéro de téléphone. Rendez-vous à 20h devant
le temple bouddhiste d'Elista. Il nous apprend que c'est le plus grand
temple bouddhiste d'Europe. De nouveau sur la route et à l'approche de
la ville, nous nous faisons arrêter par la propriétaire d'un restaurant
qui veut nous inviter à manger ! Nous acceptons là encore. Prévenue par
téléphone par quelqu'un qui nous a vu en voiture, elle guettait notre
arrivée... Borsh, thé Kalmykia (thé vert mélangé à du lait, de la crème
de lait et salé), salade de tomates et cornichons, pain, assiette de pommes
de terre et de viande de mouton : un délice. Tous les plats sont servis
en même temps. Il n'y a pas de couteau sur la table, c'est donc avec la
fourchette qu'il faut se débrouiller pour couper la viande. Heureusement,
elle est tendre. Notre estomac, par manque d'habitude, est au bord de
l'explosion. La propriétaire fait venir une journaliste d'Elista pour
une interview. Coup marketing ? Sûrement car son restaurant n'est pas
encore ouvert mais ça ne saurait tarder. Interview en anglais. Photos
devant la devanture du restaurant. Suite à cette pause repas fort agréable,
nous nous lançons à l'assaut de la ville aux 100 000 habitants, originaires
de Mongolie et du Kazakhstan. Nous apprenons que Jean Djorkaeff (ancien
footballeur et père de Youri) y habite. Que la ville accueille aussi les
olympiades de jeux d'échec. Ville charmante aux couleurs de l'Asie : rouge,
vert, jaune et bleu. Enfin de la couleur, nous commencions à trouver la
Russie un peu trop "grise". Nous croisons des statues mongoles, des monuments
style asiatique. Et pendant que Gaël répond aux emails dans un internet
café, je me fais une amie : Lydia, 19 ans, étudiante à l'université d'anglais.
Elle est très contente de pouvoir discuter avec moi et reste à mes côtés
une bonne demi-heure. Elle me flatte : elle me donnait 5 ans de moins.
De retour sur les vélos, nous nous promenons un peu dans la ville. A pied,
nous longeons les boutiques du marché. Nous regardons du coin de l'œil
une jeune femme souriante mais au lourd handicap (son corps pourrait se
résumer à une tête sur des jambes). Elle fait la manche sous un parasol.
Elle est en train de parler avec une autre femme. Nous continuons alors
notre promenade en songeant à l'incroyable chance d'être nés sous une
bonne étoile et de vivre cette aventure. Ensuite, nous traçons vers le
temple bouddhiste, haut de 52 m. Site magnifique. Couleurs flamboyantes.
Nous entrons, nous nous déchaussons avant de rentrer dans la salle des
prières. Un grand bouddha assis couleur or trône au milieu du mur opposé
à l'entrée. Moquette rouge au sol. Longs bancs en bois de chaque côté.
Fresques peintes au mur: les personnages mythiques semblent raconter une
histoire. Nous ne prenons pas de photo, ç'est interdit. Une jeune femme,
allongée par terre ventre face au sol, prie. Nous attendons pendant 2
heures au pied du temple. Nous apprécions le calme qui y règne. Des bénévoles
et des moines préparent les festivités du lendemain : c'est l'anniversaire
du bouddha. 20h15 : Mingniane arrive en voiture avec son collègue Méga.
Nous les suivons pendant 2 km jusqu'à leur maison. Ils nous font comprendre
que nous ne dormirons pas là et qu'il faut prendre quelques affaires avec
nous. OK. Nous nous assurons que les vélos sont en sécurité avant de partir.
Nous voilà donc à l'arrière d'une lada Samara. Pas la peine de mettre
nos ceintures de sécurité nous dit le policier. Ils nous font découvrir
la ville en voiture : là, la place centrale, là, la maison du Président
de la région, ici la maternité...Et voilà qu'il arrête la voiture devant
un hôtel !! Nous y entrons. Mingniane, toujours en uniforme, nous paye
une nuit à l'hôtel ! Nous essayons de refuser, lui faire comprendre que
c'est cher. Nous n'y arrivons pas. Il nous donne la facture pour preuve
que c'est payé. 900 roubles soit dans les 28 euros. 1/10 de son salaire
!!!! Il nous donne 10 minutes pour nous changer avant d'aller au restaurant
! Le temps pour lui aussi de se changer et d'enlever son uniforme. 10
minutes plus tard, nous voilà partis vers un restaurant traditionnel :
sauna et piscine pour la détente avant le repas (n'ayant pas de maillot
de bain sur nous, nous refuserons), au premier étage, les tables ne sont
pas regroupées dans une salle comme chez nous mais séparées dans des pièces
(comme en Ukraine). Soirée très sympathique à essayer de se connaître
mieux. Mingniane, 26 ans, 7 ans de carrière dans la police, est père déjà
de 2 enfants comme son collègue Méga, 27 ans et 9 ans de carrière. Ils
nous apprennent qu'ici, une maison avec 3 chambres coûte 50 000 euros
(avec 28 % de crédit!!!), qu'au temps de L'URSS, le service militaire
durait 3 ans, qu'aujourd'hui, il est de 1 an (toujours en Sibérie). C'est
aux alentours de minuit que nos hôtes nous ramènent à l'hôtel. Juste à
l'heure pour regarder la retransmission du match France-Italie. Décevant...
Le lendemain matin, il pleut. Enormes averses. Nous ne pouvons faire la
grasse matinée car Mingniane doit embaucher. Nous partons donc récupérer
les vélos chez lui. Remerciements du cœur. Nous revoilà partis mais cette
fois sous la pluie. Nous stoppons en pleine campagne 30 kilomètres plus
loin derrière une rangée d'arbres non loin de la nationale. Nous sommes
trempés. Nous installons tente, couverture de survie sous l'abside pour
y déposer les affaires. Tout est boueux. Fatigués de notre journée de
la veille, nous faisons une sieste de plus de 3 heures dans l'après-midi.
Le soleil est revenu. Nos bagages sèchent. Comme nous avons du temps pour
atteindre la frontière kazakh, nous décidons même de rouler que le lendemain
après-midi et de profiter de la matinée pour se reposer. Mais c'est sans
compter avec monsieur orage. 12h30. Alors que j'envoie un sms à ma grande
sœur, Gaël court me rejoindre. Il a juste le temps de s'accroupir et fermer
l'abside avant qu'un vent violent et un mur d'eau de pluie s'abattent
sur la tente. Nous tenons la toile de l'intérieur de peur que ça se déchire.
C'est violent. Commence un ballet d'éclairs et de grondements. Les vélos
ne sont qu'à 5 mètres de nous. Nous sommes sous les arbres. Nous avons
peur. Peur de la foudre. Peur de recevoir une branche d'arbre sur la tête.
Nous sursautons à la puissance de l'orage. Une demi-heure recroquevillés.
A prier. Prier... Nous devenons superstitieux, sensibles aux signes...
Nous savons qu'une journée exceptionnelle comme celle passée à Elista
est annonciatrice d'une catastrophe. Pas manqué avec l'orage. Alors qu'un
premier orage s'éloigne, un deuxième approche. Nous rangeons en quatrième
vitesse toutes nos affaires, harnachons les vélos et pédalons comme des
forcenés jusqu'à la prochaine ville qui n'est plus qu'à une quinzaine
de kilomètres. Nous nous arrêtons chez Couistian, restaurateur routier
qui nous offre un bon repas. Compréhensif au vue de la masse sombre au
loin, il accepte qu'on reste quelques heures. La pluie tombe puis le soleil
refait son apparition. Nous ne pourrons pas installer notre tente près
du restaurant alors nous repartons. Arrêt dans une station service pour
faire le plein de la bouteille du réchaud. C'est cadeau ! Au même moment,
des "mafiosi" dans une BMW, nous tendent un billet de 1000 roubles pour
se restaurer dans la boutique d'en face et dormir dans le motel. C'est
généreux de leur part. Ne les contrarions pas !! Bon, apparemment, toutes
les chambres sont prises mais nous nous régalerons avec les mets choisis
par un des russes. Ils attendront dans la voiture pour nous voir partir.
Nous sommes de vraies attractions!! Il est 19h passé, il est temps de
trouver un coin pour dormir (et à côté d'une maison). La force de l'orage
de la matinée a été telle que malgré toutes les bonnes choses qui se sont
passées ensuite, notre niveau de stress est au maximum. Nous trouvons
encore une fois refuge 5 km plus loin chez Mohammed, employé-éleveur de
brebis. Pour atteindre la ferme, nos vélos ont droit à un bain de boue.
1,5 km de piste détrempée. La glaise bloque les roues en s'accumulant
entre le pneu et le garde-boue. Nous patinons. On y arrive enfin à cette
ferme sous l'aboiement d'un gros chien de garde. Les chiens jouent souvent
le rôle de sonnette en Russie. Mohammed sort alors et accepte de nous
abriter pour la nuit. Il vient du Caucase; parle le russe mais ne sait
pas le lire, c'est donc en langage des signes que nous nous faisons comprendre.
Tous nos bagages sont rentrés dans la maison qui se résume à une pièce
: 2 lits simples, une cuisinière à gaz et une cuisinière à bois en guise
de cheminée, une table avec TV, des tabourets et un placard. Nos bagages
prennent un quart de la place dans le coin cuisine. Des plaques en bois
sont vissées au plafond. Ca piaille là haut. Des oiseaux ont élu domicile
sous la tôle du toit. Nous sommes obnubilés par les images d'une série
policière qui passe à la télé puis inquiets quand nous voyons les images
du journal de 20h montrant les inondations à Astrakan, la ville où nous
nous rendons. Nous prenons juste un "tchaïe" (thé) avec lui car notre
bidou est déjà bien trop rempli. Nous l'aidons le soir à rentrer sa centaine
de moutons dans l'enclos en tapant des mains. Nous nous sentons de vrais
gamins... fascinés... Nous sommes vraiment touchés par Mohammed. Sa condition
de vie, sa gentillesse... Il ne voit pas souvent sa femme car elle travaille
dans une ville plus loin. Nous voulons lui donner le reste de notre monnaie
provenant de notre mafioso pour le remercier mais la présence du "boss"
le lendemain matin ne nous permettra pas de le faire. Nous repartons alors
déçus d'avoir raté une bonne action. Recevant beaucoup des autres, nous
sentons le besoin aussi de donner un peu de nous-même.
--------- du 20 juin au 28 juin ------
Avant de partir sur la route en direction d'Astrakan, nous nous allégeons
du poids de la boue engluant nos dessous de chaussures et les roues des
vélos avec des petites branches d'arbustes. Il fait beau mais sommes inquiets
quand même car les orages arrivent vite ici. Nous regardons autant le
rétroviseur que la route pour surveiller tout changement de temps. Nous
atteignons un village au bout de 40 km. Nous en profitons pour acheter
dans une échoppe eau et nourriture. La marchande, heureuse de serrer la
main à des touristes français, nous offre une bouteille de jus de poire
pétillante. Un père de famille nous achètera des tomates et des cornichons;
pour le remercier, nous posons pour la photo avec son fils. Le ciel est
encore découvert, nous pensons avoir le temps de rejoindre le prochain
village, à une quarantaine de kilomètres de là. Et bien non ! A mi-parcours,
à notre gauche, une masse sombre au loin et des grondements nous font
chercher un abri. Mais rien : pas de ferme à l'horizon, pas d'abris bus...
Que de la steppe... Nous observons sa direction et décidons de stopper.
Il y a de grande chance qu'il passe devant nous. Mais un autre arrive
derrière et celui-là nous menace. En contre-bas de la route, une bouche
d'évacuation d'eau nous accueille. Elle est assez grande pour y entasser
nos bagages. Assis sur nos selles en mousse, nous logeons aussi. Nous
en profitons pour manger. Nos vélos sont posés à plus de 100 mètres du
tunnel. Il est 13h. Nous restons dans le tunnel 3 heures, le temps que
le danger s'écarte. L'orage a bien tonné au-dessus. Nous parcourons 91km
en ligne droite ce jour-là : un village seulement dépassé et un autre
atteint. Nous sommes soulagés de voir au loin un paratonnerre d'une ville;
signe d'une re-civilisation. Au cours de cette longue journée, nous sommes
récompensés par le galop d'un troupeau de chevaux à 200 mètres de nous.
Ca fait du bien de voir des animaux qui jouissent d'une grande liberté.
Nous stoppons le soir chez Sergueï, un fermier rencontré seulement 5 minutes,
le temps de nous montrer notre chambre avant qu'il parte travailler de
nuit... Nous sommes épuisés. Je rigole d'un rien. -"fourchette" me dit
Gaël. C'est l'explosion de rire nerveux. Mes rires se mêlent à mes larmes.
Je sais au fond de moi que je suis en train de perdre mon meneur. Je sais
que Gaël ne profite plus de ce voyage depuis quelques jours. Il veut rentrer.
Il le dit. Les orages successifs ont cassé quelque chose en lui. Il a
peur. Moi non plus, je ne suis plus rassurée. Les distances entre les
villages commencent à devenir trop importantes et nous savons qu'au Kazakhstan,
ça risque d'être pire. Nous qui étions si pressés de découvrir la steppe.
Trop hostile, trop de dangers... Environnement qui ne nous correspond
pas... Mais j'essaie de l'en dissuader. Il faut continuer...
Le lendemain, notre journée de vélo est courte (32km) mais riche en découvertes.
Une envie de grosse commission nous stoppe à un croisement de chemins
en terre. Vélo contre un poteau électrique à 30 mètres de la route, je
cache mon popotin des automobilistes derrière les roues de mon vélo...
A peine mon pantalon remis, voilà que des scarabées arrivent en volant
de toute part et assiègent mes "excréments" pour les découper, en faire
des boulettes et les emporter en roulant. Il y en a même qui se battent
pour préserver leur boulette. Quel travail ! Et quel succès !! Pendant
20 minutes, nous contemplons la nature. De vrais gosses... Le temps nécessaire
pour faire disparaître la moitié de mes selles. Alors, oui, la "m...."
sur les photos, c'est bien la mienne ! Midi, l'heure de remplir notre
estomac. Ca tombe bien. Un long abri-bus en mosaïque nous donne un peu
d'ombre. J'en profite pour relire à Gaël le récit de la semaine mais au
milieu d'une phrase, je stoppe. Le regard de Gaël en dit long. C'est intense.
Regard brisé. Il part se réfugier derrière le mur pour éclater en sanglots.
Je le prends dans mes bras et voudrais tellement lui donner toute l'énergie
qu'il me reste... Je ne peux pas le rassurer pour la suite du voyage qui
m'est inconnue... Je sens que je perds définitivement mon pilier. La fin
du voyage approche... Et pour enfoncer le clou, c'est sous une tempête
que nous finissons la journée. Heureusement, la famille de Bastide nous
héberge. Vélos dans le garage et nous, à contempler les rues inondées
par la fenêtre... Le vent souffle très fort. Un éclair fait disjoncter
le transformateur de la ville. Attila, le fils de 11 ans, enlève alors
de la fenêtre une partie d'un isolant brillant pour laisser entrer un
peu de lumière dans la pièce. Des gouttes d'eau tombent du plafond dans
la cuisine et l'entrée. Une fenêtre du salon fuit. Nous nous demandons
comment nous ferions si nous étions en plein milieu du désert au Kazakhstan
sous une tempête comme celle-ci. Nous savons qu'il y a au moins 300km
à parcourir après la frontière avant de pouvoir prendre le train (soit
5 villages à atteindre avec le stress). Et pour nous rassurer un peu plus,
le collègue de Bastide, nous dit qu'il y a pas mal de bandits dans les
steppes et un risque de kidnapping pour moi aux alentours de Almaty, l'ancienne
capitale. Sur ces paroles, nous nous endormons difficilement dans un petit
lit simple. Il fait chaud dans la chambre et comme dans beaucoup de maisons
russes, les fenêtres sont condamnées, impossible donc d'aérer.
Le lendemain, une journée difficile s'annonce : lever à 5h30 du matin.
Nous voulons nous approcher le plus possible de la ville d'Astrakan pour
nous mettre à l'abri des orages. Et pour y arriver, nous savons que nous
devons rouler le plus possible à la fraîche. C'est parti pour 119 km,
un record ! Et avec la mauvaise humeur d'une jeune femme dans les mauvais
jours du mois. Je râle ou boude. Au lever, je m'énerve intérieurement:
je ne peux même pas me mettre une serviette hygiénique, mes hôtes regardent
tous mes faits et gestes. J'utilise alors une tonne de papier dans les
wc extérieurs pour résoudre partiellement mon problème. Il sera heureusement
résolu au milieu de la pampa quelques kilomètres plus loin. Je réfléchis
trop. Je suis déçue de la tournure que prend le voyage. Je réfléchis à
toutes les solutions pour continuer d'une façon ou d'une autre le périple.
Prendre l'avion d'Astrakan à Almaty (Kazakhstan) pour éviter les steppes.
Et la mer d'Aral que je voulais voir... Et pourquoi pas continuer en sac
à dos, envoyer les vélos en France par un transporteur et acheter le matériel
pour voyager léger, à pied et transports en commun... Mais tout est tellement
compliqué à l'étranger... Et le visa chinois, comment allons-nous réussir
à l'obtenir au Kazakhstan avec toutes les nouvelles restrictions? Tout
nous fait peur. Le moindre problème prend des proportions énormes. Notre
fatigue nous empêche de prendre des décisions rapides. Nous hésitons sur
tout. -"tu veux t'arrêter à cette échoppe pour acheter du pain?" me demande
Gaël. -"Comme tu veux!" Cette réponse devient au fil des jours répétitive.
"Je te gâche ton voyage", "je te déçois"... Comment puis-je lui en vouloir?
Sa réaction est tellement naturelle et humaine après toutes ces chutes,
les galères accumulées, les orages pris sur la tête... Je culpabilise
même de ne pas l'avoir plus épaulé. C'est lui qui allait vers les gens
pour nous trouver un toit ou pour demander une direction. Je pense que
je me suis peut-être trop réfugiée derrière son dos. Nous en parlons beaucoup
les jours suivants. Toutes les rencontres, les péripéties : c'est peut-être
un peu trop à digérer. Nous sommes fatigués. Nous nous mettons enfin d'accord:
un peu de repos en France nous ferait du bien avant d'attaquer la deuxième
partie de ce voyage qu'est l'Asie. Pendant cette longue journée de pédalage,
nous sommes quand même récompensés de nos efforts par la rencontre d'un
troupeau de chameaux. Les deux camps sont intrigués. Nous nous regardons
sans trop nous approcher. Et contrairement aux vaches qui broutent en
bord de route, les chameaux ne fuient pas à notre passage. Photos souvenir
aussi sur des lacs salés. Nous ne pensions pas en voir en Russie. Décidément,
le pays aux corbeaux nous surprend. C'est de nouveau sous la tente mais
toujours près d'habitations que nous nous endormons le soir; enfin Gaël
difficilement, il trouve de moins en moins le sommeil. La dizaine de piqûres
de moustiques à son cou, le mal de ventre et la fatigue ne l'aident pas.
Le lendemain, les derniers kilomètres dans le delta de la Volga pour atteindre
Astrakan sont un véritable calvaire. Dans l'incertitude, je me dis que
ce sont peut-être les derniers tours de roues. Je suis alors exécrable.
Je ne m'étais pas préparée à stopper net la magie de ce voyage. Je me
ressaisis vite, mon égoïsme ne doit pas se répercuter sur mon couple et
sur Gaël qui culpabilise. De toute façon, je serai bien incapable de voyager
sans mon Indiana Jones. Astrakan, la ville frontière avec le Kazakhstan.
C'est près du Kremlin en restauration que nous achetons une carte de la
ville. Pratique pour trouver facilement le stade municipal au nord; des
chambres d'arbitre sont louées pour 7€ la nuit : un bon tuyau provenant
par SMS de cyclo-voyageurs. Par rapport à notre tente ou autres endroits
fréquentés pour dormir, ici, c'est le luxe : calme (pas de chien pour
aboyer), propre, possibilité de prendre une douche froide. D'ailleurs,
elle se fait apprécier, cela faisait 5 jours que nous nous n'étions pas
lavés. Vélos entreposés dans la chambre. Moustiquaire sur la climatisation
pour éviter que trop de moustiques entrent dans la pièce. 3 lits simples.
Une table de chevet. Nous nous posons enfin 3 jours. Le temps pour nous
de réfléchir. Mais décision prise. Demain, c'est gare et aéroport que
nous allons visiter pour connaître les prix, dates de départ...
Les personnes à la réception acceptent que leur téléphone soit monopolisé
quelques minutes, le temps pour la famille de nous joindre. Grand soulagement
à entendre leur voix. Ca nous fait du bien. Ils nous rassurent. A la gare
ferroviaire, on nous annonce 30h de train pour aller jusqu'à Moscou. 1
800 roubles en classe économique (51€) et 4 800 pour un box (130€ pour
la première classe), par personne. De toute façon, pour rentrer en France,
il faut passer par Moscou. Il n'y a donc pas le choix. Prochain train
: le 27 à 00:52. Pendant les deux prochains jours, nous nous promenons
à travers la ville (sans trouver le fameux café français). Avec appareil
photo autour du cou et sac à dos, nous jouons aux véritables touristes.
Et nous sommes vite assaillis d'enfants qui mendient. Au marché, nous
prenons pitié pour deux jeunes filles et nous leur offrons deux brioches
sucrées. Nous trouvons des "internet point" dans les postes. A savoir
qu'en Russie, la connexion n'est pas payante à l'heure mais au débit.
Entre 20 et 37 roubles pour le début de la connexion et 3 roubles par
Méga.
Jeudi 26 juin : c'est avec 5 820 km au compteur que nous achevons notre
périple en Europe. Nous avons quitté notre 4 étoiles en laissant à la
réception tout l'excédent de notre nourriture : café, lait en poudre,
sucre, farine, pâtes... Un gros tri dans la chambre a du être fait pour
limiter le poids de nos bagages et la surtaxe à l'aéroport. 20€ par kilo
tout de même. Nous payons nos billets de train en liquide. Ils ne prennent
pas la carte bleue, alors forcément, il y a la queue devant le distributeur.
9 000 roubles retirés en 6 retraits à cause d'un plafond. Des coupures
de 50 et 100 roubles. Enorme la liasse de billets, vite dépensée. Nous
sommes devant l'entrée de la gare. Il est temps de démonter les vélos
avec un pincement au cœur. Nous mettons 4 heures pour tout dévisser, emballer
et placer dans des cabas achetés sur place. Le tout ficelé. Pendant ce
temps là, un militaire complètement saoul vient me coller en me répétant
("June !" soit Juin) avec le doigt sur mon visa. -"Da, June, Visa !!!",
je lui crie. Un autre gars bourré nous aidera à monter les affaires jusqu'à
la salle d'attente de la gare mais ira chercher un policier pour lui signifier
que nous sommes des fous qui transportons des "vélocipèdes" dans des cabas...
Le policier en question partira aussi vite qu'à sa venue en haussant les
épaules. Voilà, 5 heures d'attente avant de prendre le train. Nous parlons
peu. Nous ingurgitons des glaces à 0,30€ l'unité. Nous squattons les toilettes
à 0,31€. Nous regardons le défilé de mode : les jeunes filles sont toutes
à talon haut, courtes vêtues et au tee-shirt échancré. Minuit : nous chargeons
les bagages dans le train. Tout loge sous les couchettes, même les vélos.
Mais Gaël se fait des bleus aux hanches et aux épaules à porter de tels
poids. Moi, je me fais aider par des passants. Soulagés d'être dans le
train. Nous y dormons bien. Nous ne regrettons pas la première classe.
Les box sont bien insonorisés. Aucun repas n'y est servi. Nous avons donc
bien fait d'acheter fruits, pain, maïs, brioche, eau, yaourts avant de
partir. La journée dans le train se résume à apprécier le paysage, jouer
aux yams, écrire le récit et se reposer. Arrivée à 5h10 du matin à Moscou.
Marya, une traductrice de Décathlon Russie vient nous chercher à 9h00
pour nous emmener au magasin de cette immense ville aux 15 millions d'habitants.
Notre avion n'est qu'à 19h00, elle insiste pour nous faire visiter la
place rouge, au centre de la ville. Sans aucun regret : magnifique! Photos
souvenirs. 1h de métro moscovite pour l'atteindre : endormissements pour
nous malgré le bruit assourdissant des wagons lancés à plein régime. Un
grand merci encore une fois à l'organisation décathlonienne qui nous aide
et nous sort de ce mauvais pas. Un taxi nous prend en charge jusqu'à l'aéroport.
Il est 16h00. Nous apprenons que notre avion Air France à 1h30 de retard
à cause d'une grève des agents de sol. Bah, nous commençons à être habitués
d'attendre. Arrive la pesée des bagages. Chaque vélo ne coûte que 60€
(forfait vélo de moins de 17 kg). Le bagage cabine ne doit pas excéder
12 kg chacun et les bagages 2O kg. Nous faisons le compte, c'est bon,
nous n'avons pas de surpoids à payer ! Nous embarquons donc près de 85kg
de matériel à bord. Dans la salle d'attente, des français qui râlent...
Gaël parle crûment, il oublie que les gens à côté de lui le comprennent...
Décollage vers 20h30. 4 heures de vol. 2 heures de décalage horaire. Avec
la fatigue, nous nous écroulons sur la tablette du siège avant... Nous
songeons à tous les souvenirs merveilleux que la Russie nous a laissés;
inoubliables...
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