----Russie 05/06 au 28/06-- --

----- du 05 Juin au 12 Juin ------

Commençons par notre dicton du mois : "Au mois de Juin, quand tout va bien, n'oublie pas de faire de gros câlins à ton conjoint !"
Pour passer la frontière russe, il nous faudra plus d'une heure. Contrôle n°1 (passeport tamponné), contrôle n°2, fouille de tous les bagages (heureusement, les douaniers s'intéressent plus à nos cartes routières qu'à notre bouteille d'essence, notre trousse à médicaments ou notre sac à nourriture. Ils souhaitent savoir si nous sommes armés. Non, pas d'arme!) C'est bon mais il faut que dans 3 jours maximum, nous nous soyons enregistrés auprès des autorités de l'immigration. La route se poursuit sous la chaleur et un ciel couvert. L'asphalte est en bien meilleur état qu'en Ukraine. Immenses champs et plaines à perte de vue. Entre les collines, des résineux. Les odeurs de sève de pins nous font penser à nos bords de plage de Charente-Maritime. 30km plus loin avec l'arrivée de la pluie nous décidons de stopper. Petit aparté : sur les trois premiers mois de voyage, nous aurons eu pratiquement un mois de temps maussade ! Première demande à un riverain russe. Pas possible mais il va voir en face la gérante du shop du village pour pouvoir planter la tente sur le terrain du magasin. Elle accepte, on lui explique notre route qui mène à Pékin. Une cliente, 55 ans, prend pitié et nous invite à dormir chez elle ! Comme beaucoup, elle pense qu'il est impossible de dormir confortablement dehors. Repas, douche, informations T.V. et nuit au chaud...... ça commence très fort... Nous n'arrivons pas à comprendre son prénom alors nous la surnommons "babouchka" (grand-mère en langue russe).
Au matin, elle et son mari, accompagnés de leur petite-fille, nous accompagnent en ville pour nous enregistrer auprès du bureau de l'immigration. Allez hop, tous dans la lada bleue familiale. Pas de ceinture de sécurité à l'arrière, pas de siège enfant pour la petite. Voiture très confortable avec suspensions très souples. Arrivés au poste et après 30 min d'attente, on nous répond que cela ne sert à rien vu que l'on est en transit (voyage vélo). L'enregistrement selon ce policier n'est obligatoire qu'après 3 jours au même endroit. Y a plus qu'à attendre la frontière kazakh pour vérifier ses dires. Cette sortie en ville est l'occasion de retirer nos premiers roubles dans un distributeur. Jusqu'à maintenant, retirer une somme définie était possible mais ici c'est 100, 500, 700, 1000 ou 5000 roubles ! Y a déjà du choix, faut pas se plaindre !!! Au retour vers leur maison, ils nous achètent des boites de conserves de thon à la tomate et des bananes. Et au moment de reprendre les vélos, ils insistent pour nous conduire sur la bonne route. C'est donc pendant plus de 10 km qu'ils jouerons le rôle de poissons pilotes. Géniaux. Impression d'une 2ème famille. Confirmation au moment des "au revoir" car c'est accolades et caresses amicales dans le dos. Signes de croix... Beaucoup d'émotions. Le soleil tape, les collines s'enchaînent, les villages sont espacés de plus de 50km. Un abri-bus nous accueille pour le repas de midi. A l'ombre, repos réparateur. L'après-midi n'est qu'une succession de côtes et descentes avec comme paysage impressionnant les interminables collines russes. Vers 17h00, enfin un village. Arrêt obligatoire à la boutique du coin pour acheter pâtes et eau. Nous achetons carrément des bombonnes d'eau de 5 litres maintenant. à la sortie de la boutique, 2 russes nous prennent en photo. Le Mr nous fait 2 signes. Le 1er, c'est celui de manger ("couchette !!") et le 2ème c'est ne pas payer. Manger sans payer, là aussi faut pas nous le proposer 2 fois ! En fait, Valodian et Svieta sont les patrons du restaurant d'à côté. Ils ont respectivement 55 et 34 ans et leur enfant a 3 ans. Au menu: le traditionnel Borsh, puis assiette de Grietchka (blé triangulaire) avec une grosse boulette de viande, oignons... qui s'appelle Katlieta. Suivra ensuite en dessert un Pérojna (éclair à la crème) avec une tasse de thé pour Fanny et un cappuccino pour moi. Pour finir quelques cerises! Pendant le repas, Svieta explique que si le repas nous est offert, c'est qu'elle nous à vu à notre pause de midi sous l'arrêt de bus alors qu'elle revenait de la ville ! De nouveau sur la route, une quinzaine de kilomètres plus loin, un petit chemin sur la gauche attire notre attention ! Au bout : un petit village. La 2ème maison sur la droite accepte notre présence. C'est une famille sympa, discussion comme souvent autour des prix en France par rapport à la Russie. Un des jeunes parle quelques mots d'anglais, la communication en est ainsi simplifiée. La jeune femme de la famille apporte des beignets fourrés. A quoi ? On ne saura jamais mais ils sont bons et passent bien à la digestion ! L'heure d'aller au dodo approche, nos voisins d'un soir rentrent chez eux, nous en faisons de même.
8h00, il faut se lever comme on l'avait annoncé la veille. Les enfants attendent d'ailleurs notre départ ! C'est reparti, après une poignée de main. Journée longue en kilométrage. Avec la chaleur qui règne en ce moment, la pause midi est indispensable. Minimum 4h de pause. Le soleil au Zénith nous cuit littéralement les bras. Le paysage est superbe, les plaines s'étendent à perte de vue. Les routes deviennent très rares. La circulation est quasi-inexistante. L'heure de trouver un bivouac approche. Encore un petit chemin en terre qui va nous mener 500m plus loin sur un terrain très propice au plantage de tente. Chien de prairie pour nous saluer dans le champ d'en face. Oiseaux de toutes sortes et même d'étranges mille-pattes gris de 5cm de long. La nuit sera bonne malgré une bestiole (rat, furet,... ?) qui a rodé autour du bivouac pendant la nuit et la matinée suivante.
Cette matinée est d'ailleurs consacrée au ménage, vaisselle, linge, récit, dessins, gros câlins. Ces derniers se raréfiaient : fatigue, rencontres inopinées. La pluie fait son apparition jusqu'à 15h, heure à laquelle nous levons le camp. 30km plus loin un petit village nous appelle. Petite journée mais arrêtons-nous quand même ! Une jeune femme donne l'autorisation de s'installer sur la pelouse devant sa clôture. On installe tout, mange, commence à préparer le lit douillet, et à ce moment là arrivent des voisins. Ils se lancent dans des explications incompréhensibles puis la jeune femme nous fait des signes dont voici la traduction: "quand vous dormirez, nous viendrons vous voler vos vélos et vous Franssouzes vous repartirez à pieds" !!!!!!! Rien que ça, des menaces !!! Je commence sérieusement à m'inquiéter. La grand-mère qui est à côté nous conseille de ne pas dormir ici, mais plutôt chez elle. Bon OK mais nous ne sommes toujours pas rassurés, surtout que le jeune homme me demande si je suis armé! Je fais le mec qui ne comprend rien. Arrivé à la maison, le chien de garde me pince le mollet droit. Pas de bobo, heureusement. Les propriétaires nous assurent qu'ici ça ne craint rien. OK, de toute manière si c'est un piège, nous sommes tombés dedans ! La soirée se poursuit finalement très agréablement. Malgré nos explications, ils nous resservent à manger. On doit vraiment paraître très maigres ! Tasse de thé et biscuits suivent. Les vélos sont gardés par le chien qui m'a pincé, les bagages sont rangés dans une pièce noire sans éclairage et le reste de nos sacoches prend place dans l'entrée de la maison. Les passeports et argent dorment avec moi. Le grand-père nous met la télévision. C'est automatique, dès que l'on rentre chez quelqu'un, c'est télé. 2 raisons: la première sûrement par fierté d'avoir une belle télé qui trône au milieu de leur salon. 2ème raison et certainement la principale, ils pensent que cela doit nous manquer. Il n'en est rien. Enfin si un peu, j'aimerais bien regarder le tour de France en juillet ! Au programme, sport, il aime le football et nous sommes en plein Euro 2008 ! Ce soir, c'est Autriche-Croatie, les croates gagnent 1-0. J'apprends que les français ont battu les italiens. Ah quand même! Ensuite c'est natation, peut-être un championnat russe? Pendant ce temps, Fanny faisait sa toilette; je la retrouve toute propre et en chemise de nuit russe, mode des années 20. Trop craquante ma petite mamie de 26 ans !!!!
Au matin, c'est repas de roi. Ils nous offrent en plus des oeufs, cornichons, biscuits, gâteaux, saucisson, saucisse, thé et sel pour la route. Incroyable, nous qui pensions tomber dans une embuscade, nous voilà ravitaillés ! La mamie est d'ailleurs très émue. Ils sont émerveillés par nos vélos et par la quantité et le volume de nos bagages ! "Y sont tout maigres, ils font comment pour transporter tout ça !!!" Le soleil ne tape plus, il cogne. La température monte inexorablement, et nous devons avancer. Midi, 30km de fait, impossible d'aller plus loin, il fait trop chaud. A 15h, le thermomètre annonce 50 degrés au soleil alors que la température baisse déjà, à l'ombre il fait 27 degrés. Repas, grignotage, photos... Ah oui, j'oubliais, ce matin, nous avons assisté tout à fait par hasard à la naissance d'un veau ! Sur la route, un pont, nous stoppons pour voir les poissons dans l'eau. Il y en a mais de l'autre coté une vache grise est prête à mettre bas. Nous attendons donc que le petit se décide à sortir, soit 1 heure; le jeune apprenti fermier qui doit avoir 10 ans est formé par son papi. Aujourd'hui c'est travaux pratiques. Et voilà, un petit veau tout gris et tout flasque ! 30 min plus tard, il ressemble enfin à un veau ! Sa maman l'a tout nettoyé et il essaye déjà de se lever ! 16h30, ça y est, le soleil s'est calmé. La route nous conduit dans un autre petit village. Arrêt : ravitaillement d'eau. L'épicière n'en a pas mais une cliente se propose de nous en donner. Arrivés chez elle, elle nous offre 5 litres d'eau du robinet. Devant tant de gentillesse, moi j'abuse! Présentation de la carte pour faire dodo et hop nous voici encore accueillis chez l'habitant ! Ce soir, c'est Vira et Sacha qui se font un plaisir de nous héberger. Alors que je suis en train de planter la tente, ils insistent pour que l'on dorme dans leur lit à la maison. Vous notez bien, c'est eux qui insistent !! Pas moi. OK! Soirée géniale, repas de fête, pain perdu et raviolis à la purée accompagnés de crème de lait cru. Ce n'est pas de la crème fraîche du supermarché ! Là, le goût de la vache est bien présent ! En plus, au nombre de fois où nous avons bu du lait cru, notre estomac commence à s'habituer.Avant le repas, nous avons regardé la T.V. avec leur fils "Sacha" (comme papa). Au programme : DVD des tortues Ninja en russe jusqu'à l'arrivée de Sacha le père qui a zappé sur le foot : France -Roumanie. Super des français, depuis le temps que l'on n'en avait pas vu. Première mi-temps 0-0, si vous connaissez le score final, vous pouvez nous envoyer un Email. Pendant la 2ème mi-temps, nous avons regardé Vira (pas Viera, c'est fini le foot!) traire les vaches. 1 seau de lait à chaque fois ! Elle en ressort épuisée, son rythme de traite est hallucinant ! "Allez au lit mes braves cyclistes" semble-t-elle nous dire en russe! Dormir, on voudrait bien mais ce n'est pas facile : imaginez un lit trop petit pour vous (je ne fais que 175cm) avec un oreiller qui occupe 1/4 de la place et qui pèse 5kg ! Il n'y a pas de porte aux ouvertures des pièces; gare à celui qui ronfle trop fort ! Et quand je me cogne en haut d'une porte, on me fait comprendre que ce sont des dimensions à la russe ! Il est vrai que les gens rencontrés sont plus petits que moi.
Au matin, photo souvenir et déjeuner. Café, thé, oeufs au plat, salade de radis et pousses d'oignons, le tout accompagné par des délicieux beignets que nous trempons dans la crème crue. DELICIEUX ! Fanny : les russes ne sont décidément pas à l'image de leurs hommes politiques froids et austères car c'est encore chez l'habitant que nous nous endormons ce soir. Chez Anatole, éleveur d'oies (150 oies élevées en plein air, parmi les chiens et les chats, les canards et les poules). Il nous fait visiter sa ferme : cochons, mini-biquettes, vaches, veau... Ainsi que son potager et nous voilà, assiette en main à cueillir des fraises... Avant de se coucher, Anatole, 70 ans, nous raconte (dessine) qu'il a travaillé 8 ans dans une base secrète en Sibérie à surveiller les centrifugeuses qui séparaient l'uranium utilisé pour l'électricité de celui utilisé pour la fabrication de la bombe H. Un bâtiment à 5 étages de 32m de hauteur, 64 de large et 1 km de long. 10 000 ouvriers. 1 million de centrifugeuses. Une ville dortoir à 25 km. Des températures entre -50 et +40°C. Il a quitté ce métier il y a 18 ans maintenant et n'a plus jamais bougé de sa ferme en bois qu'il a lui-même construite. Nous nous endormons à côté des couveuses (comprenez avec le bruit d'une cabine d'avion) et les piaillements des 1000 poussins parqués dans une pièce à côté. Mémorable !!! Rajoutez aussi les démangeaisons des multiples boutons de moustiques et sûrement d'autres insectes qui nous couvrent les bras...
Le jour suivant, nous franchissons, avec petite fierté interne, la barre des 5000 km au compteur. Repos vers midi au coin d'un champ de blé; nous sommes souvent en compagnie de moucherons qui nous agacent et de jolis papillons bleus que nous contemplons. Nous avons maintenant rejoint la route nationale pour se diriger vers Volgograd. Pas très passionnante : voitures, camions... Nous regardons autant dans le rétroviseur que devant nous pour contrôler les trajectoires des véhicules. Certains, venant de la voie d'en face, doublent à notre hauteur. Un fleuve vient d'être traversé : pont sous surveillance policière, contrôle des papiers des véhicules. Herse au milieu de la voie. Nous, on nous fait signe de passer sans regarder nos passeports. Des étals de poissons séchés bordent la route. On nous salue en riant. C'est fréquent. Voilà, une semaine passée en Russie et c'est encore sous les aboiements d'un chien que nous nous endormons!

---------- du 13 juin au 20 juin --------

Volgograd! Nous y voilà! L'ancienne Stalingrad. Une ville longue de 60 km qui borde la Volga. Avec l'aide des policiers, nous trouvons notre chemin pour atteindre le célèbre monument aux morts perché en haut de sa colline : une statue de plus de 60 m de haut. Une femme poussant un cri de guerre et levant avec menace son épée: la mère patrie de la Russie. Le site nous semble aussi grand que celui des jardins de Versailles : immense ! Accueillant de multiples statues à la gloire des héros morts à la guerre, un bassin, une église orthodoxe, une arène souterraine avec le nom des disparus écrit en mosaïque sur les murs; au milieu, une main tenant un flambeau. Le tout accompagné d'une musique patriotique. Gardes en uniforme à l'entrée. Site gratuit, avec des chemins lisses pour l'accès aux vélos qu'il faut garder à la main. Après 2 heures de promenade, nos estomacs crient famine. Nous trouvons un supermarché juste à côté et comme à chaque fois que nous trouvons une grande surface, nous nous lâchons sur la nourriture. Nous dépensons en une fois ce que nous avions dépensé en une semaine !! Mais que ça fait du bien de manger des cuisses de poulet, du surimi, des petits plats cuisinés à emporter... 30 minutes dehors à attendre que l'autre ait fini les courses alors que dans les échoppes, ça ne dure que deux minutes... Une fois nos vélos alourdis, nous repartons à l'assaut de la ville : place centrale, théâtre, parc... Pas facile sans plan mais nous réussissons quand même à trouver un magasin où nous achetons une boussole (la nôtre était en train de rendre l'âme à cause d'une grosse bulle d'air). Tous les magasins sont au rez-de-chaussée des immeubles. Dans le centre-ville, il faut savoir qu'aux étages aussi, il y a des boutiques; faut être curieux et pousser les portes. Nous mettrons plusieurs heures à sortir de la ville et de son agglomération. Nous rencontrons d'ailleurs à sa sortie Marcus, un suisse qui est parti il y a deux semaines faire un tour du monde en Yamaha ténéré 750. 600 km par jour ! Il va donc 10 fois plus vite que nous. Son site : MOTONAUT.CH. Au soir et après plus de 90 km de vélo, nous stoppons derrière des bosquets bordant la nationale. Le bruit des voitures ne nous dérange pas mais les centaines de petites mouches si !!! Bien protégés par la moustiquaire, nous dormons bien mais c'est au moment d'installer la tente et de mettre les affaires à l'intérieur que tout se complique. Il faut faire vite. Et elles piquent !!!!! Elles sont des centaines dans l'abside ce qui attire plus tard dans la soirée des mastodontes de libellules qui n'arriveront pas à toutes les dévorer. Gaël trouve une astuce pour tuer celles qui souhaitent dormir avec nous : non farouches, elles finissent scotchées. Nous avions acheté en Ukraine du scotch pour l'envoi d'un colis en France (photos sur CD).
Le lendemain, nous décidons de ne pas longer la Volga (nous avons appris par un sms d'Olivier, un autre cyclo-voyageur, qu'un couple d'allemand s'y était fait manger par les moustiques !) Bon, nous allons donc faire un petit détour par l'intérieur du pays. Erreur, les jours suivants, nous nous rendons vite compte que la région est infestée de mini-mouches piqueuses ! Le paysage est marécageux. Il fait chaud, peu de vent. A chaque tentative de pause (pour faire pipi ou manger ou juste se reposer), elles nous trouvent vite et tournoient autour de nous, veulent rentrer dans nos oreilles. Nous en sniffons quelques-unes ! C'est l'horreur. Mais c'est sans compter l'ingéniosité de Gaël qui nous confectionne à une pause midi deux superbes moustiquaires vertes pour visage. Fil et tissu achetés dans une échoppe d'un village. Ouf, enfin tranquilles ! Enfin, seulement le visage car nos bras nus sont des proies faciles. Nous devons rouler au minimum à 20 km/h pour s'en défaire. Heureusement, que la route est relativement plate. Nous roulons en direction d'Elista, la ville principale de la république de Kalmykia. Une région très différente de celles traversées jusqu'à présent. Le faciès des gens est asiatique, peau bronzée. Comme si nous avions changé de pays... Drôle d'impression. Les rivières sont asséchées. Nous dévalons des collines à 15% pendant plus de 5km pour les remonter avec autant de kilométrage. Dans une descente, le garde-boue arrière du vélo de Gaël se détache pour la énième fois mais cette fois, ça sera la chute. A plus de 30 km/h, il se bloque sous la roue arrière. Glissade assurée non maîtrisable. Conséquences : 3 sacs étanches troués. La tuile. Gaël a juste un coude égratigné mais le moral l'est beaucoup plus. Cet accident est la goutte qui fait déborder le vase. C'est le début d'une longue période de questionnement sur la longévité du voyage... Au soir, après une course contre la montre avec un orage, c'est sous le toit de Valenta et Vala que nous trouvons refuge. Lui fermier de 44 ans et elle vétérinaire de 41 ans. Ils nous cocoonent; nous servent borsh, thé. Le repas est toujours servi dans une annexe à côté de la maison en Russie. La salle de bain aussi. Ils nous font chauffer la pièce d'eau avec un poêle à bois. C'est parti pour un hammam. Il suffit de jeter de l'eau froide sur le poêle; vous connaissez le principe d'un hammam!! Debout sur deux planches en bois, nous nous aspergeons d'eau froide avec un pichet. Nous en profitons pour gratter tout notre corps au savon. L'eau, sur le ciment, sèche très vite avec la chaleur qui règne dans la pièce. Nous nous sentons enfin propres. Nous lavons même nos vêtements dans une bassine; de la lessive en poudre est mise à notre disposition. Au soir, Valenta nous met en garde contre les "cliches"; apparemment des tiques mortelles. Il nous explique qu'il ne faut pas respirer le poison qu'elles dégagent au moment de les enlever et d'aller immédiatement à l'hôpital pour se faire injecter un antidote. Le délai de survie est de 3 jours! Garder nos pantalons dans les chaussettes est donc indispensable. Et bien, nous voilà rassurés pour la suite du voyage ! Surtout que la description qu'il en fait correspond justement à une bestiole chassée de la tente la veille au soir... C'est dans une pièce à côté du salon que nous nous endormons. Lits simples séparés. Nous trouvons difficilement le sommeil à cause des ronflements de Valenta endormi devant la TV que Gaël éteindra vers 3h du matin.
Les jours qui suivent sont caniculaires. A 10h, le soleil est en position micro-onde. A 12h, il est en position rôtissoire !!! Et nous ne trouvons plus d'arrêt de bus pour nous mettre à l'abri. Les arbres se raréfient. Nous entrons dans la steppe hostile de Russie. Nous avons quitté nos soucis de la vie quotidienne mais ce sont des soucis de voyageurs qui commencent à nous peser sérieusement sur le moral : entre les mouches, les "cliches", les serpents, les coups de soleil, les orages à éviter, les villes à atteindre avant le plus chaud de la journée, nous commençons à fatiguer. C'est avec du coton dans les jambes, le sentiment d'être patraques, que nous roulons en ce mardi matin 17 juin pendant près de 40km à travers la steppe inhabitée. Heureusement, cette journée se révèlera exceptionnelle. Et tout commence par un contrôle de police en haut d'une colline à 10km d'Elista. Présentation des passeports, réponses aux questions habituelles "d'où on vient, où on va, le kilométrage...". Au même moment, un automobiliste s'arrête, questionne le policier à notre propos et nous offre du coup bouteille d'eau et deux yaourts au fromage blanc. Le policier, Mingniane, nous invite à dormir chez lui ce soir même s'il ne parle pas un mot d'anglais. Invitation acceptée. Echange d'adresse, numéro de téléphone. Rendez-vous à 20h devant le temple bouddhiste d'Elista. Il nous apprend que c'est le plus grand temple bouddhiste d'Europe. De nouveau sur la route et à l'approche de la ville, nous nous faisons arrêter par la propriétaire d'un restaurant qui veut nous inviter à manger ! Nous acceptons là encore. Prévenue par téléphone par quelqu'un qui nous a vu en voiture, elle guettait notre arrivée... Borsh, thé Kalmykia (thé vert mélangé à du lait, de la crème de lait et salé), salade de tomates et cornichons, pain, assiette de pommes de terre et de viande de mouton : un délice. Tous les plats sont servis en même temps. Il n'y a pas de couteau sur la table, c'est donc avec la fourchette qu'il faut se débrouiller pour couper la viande. Heureusement, elle est tendre. Notre estomac, par manque d'habitude, est au bord de l'explosion. La propriétaire fait venir une journaliste d'Elista pour une interview. Coup marketing ? Sûrement car son restaurant n'est pas encore ouvert mais ça ne saurait tarder. Interview en anglais. Photos devant la devanture du restaurant. Suite à cette pause repas fort agréable, nous nous lançons à l'assaut de la ville aux 100 000 habitants, originaires de Mongolie et du Kazakhstan. Nous apprenons que Jean Djorkaeff (ancien footballeur et père de Youri) y habite. Que la ville accueille aussi les olympiades de jeux d'échec. Ville charmante aux couleurs de l'Asie : rouge, vert, jaune et bleu. Enfin de la couleur, nous commencions à trouver la Russie un peu trop "grise". Nous croisons des statues mongoles, des monuments style asiatique. Et pendant que Gaël répond aux emails dans un internet café, je me fais une amie : Lydia, 19 ans, étudiante à l'université d'anglais. Elle est très contente de pouvoir discuter avec moi et reste à mes côtés une bonne demi-heure. Elle me flatte : elle me donnait 5 ans de moins. De retour sur les vélos, nous nous promenons un peu dans la ville. A pied, nous longeons les boutiques du marché. Nous regardons du coin de l'œil une jeune femme souriante mais au lourd handicap (son corps pourrait se résumer à une tête sur des jambes). Elle fait la manche sous un parasol. Elle est en train de parler avec une autre femme. Nous continuons alors notre promenade en songeant à l'incroyable chance d'être nés sous une bonne étoile et de vivre cette aventure. Ensuite, nous traçons vers le temple bouddhiste, haut de 52 m. Site magnifique. Couleurs flamboyantes. Nous entrons, nous nous déchaussons avant de rentrer dans la salle des prières. Un grand bouddha assis couleur or trône au milieu du mur opposé à l'entrée. Moquette rouge au sol. Longs bancs en bois de chaque côté. Fresques peintes au mur: les personnages mythiques semblent raconter une histoire. Nous ne prenons pas de photo, ç'est interdit. Une jeune femme, allongée par terre ventre face au sol, prie. Nous attendons pendant 2 heures au pied du temple. Nous apprécions le calme qui y règne. Des bénévoles et des moines préparent les festivités du lendemain : c'est l'anniversaire du bouddha. 20h15 : Mingniane arrive en voiture avec son collègue Méga. Nous les suivons pendant 2 km jusqu'à leur maison. Ils nous font comprendre que nous ne dormirons pas là et qu'il faut prendre quelques affaires avec nous. OK. Nous nous assurons que les vélos sont en sécurité avant de partir. Nous voilà donc à l'arrière d'une lada Samara. Pas la peine de mettre nos ceintures de sécurité nous dit le policier. Ils nous font découvrir la ville en voiture : là, la place centrale, là, la maison du Président de la région, ici la maternité...Et voilà qu'il arrête la voiture devant un hôtel !! Nous y entrons. Mingniane, toujours en uniforme, nous paye une nuit à l'hôtel ! Nous essayons de refuser, lui faire comprendre que c'est cher. Nous n'y arrivons pas. Il nous donne la facture pour preuve que c'est payé. 900 roubles soit dans les 28 euros. 1/10 de son salaire !!!! Il nous donne 10 minutes pour nous changer avant d'aller au restaurant ! Le temps pour lui aussi de se changer et d'enlever son uniforme. 10 minutes plus tard, nous voilà partis vers un restaurant traditionnel : sauna et piscine pour la détente avant le repas (n'ayant pas de maillot de bain sur nous, nous refuserons), au premier étage, les tables ne sont pas regroupées dans une salle comme chez nous mais séparées dans des pièces (comme en Ukraine). Soirée très sympathique à essayer de se connaître mieux. Mingniane, 26 ans, 7 ans de carrière dans la police, est père déjà de 2 enfants comme son collègue Méga, 27 ans et 9 ans de carrière. Ils nous apprennent qu'ici, une maison avec 3 chambres coûte 50 000 euros (avec 28 % de crédit!!!), qu'au temps de L'URSS, le service militaire durait 3 ans, qu'aujourd'hui, il est de 1 an (toujours en Sibérie). C'est aux alentours de minuit que nos hôtes nous ramènent à l'hôtel. Juste à l'heure pour regarder la retransmission du match France-Italie. Décevant...
Le lendemain matin, il pleut. Enormes averses. Nous ne pouvons faire la grasse matinée car Mingniane doit embaucher. Nous partons donc récupérer les vélos chez lui. Remerciements du cœur. Nous revoilà partis mais cette fois sous la pluie. Nous stoppons en pleine campagne 30 kilomètres plus loin derrière une rangée d'arbres non loin de la nationale. Nous sommes trempés. Nous installons tente, couverture de survie sous l'abside pour y déposer les affaires. Tout est boueux. Fatigués de notre journée de la veille, nous faisons une sieste de plus de 3 heures dans l'après-midi. Le soleil est revenu. Nos bagages sèchent. Comme nous avons du temps pour atteindre la frontière kazakh, nous décidons même de rouler que le lendemain après-midi et de profiter de la matinée pour se reposer. Mais c'est sans compter avec monsieur orage. 12h30. Alors que j'envoie un sms à ma grande sœur, Gaël court me rejoindre. Il a juste le temps de s'accroupir et fermer l'abside avant qu'un vent violent et un mur d'eau de pluie s'abattent sur la tente. Nous tenons la toile de l'intérieur de peur que ça se déchire. C'est violent. Commence un ballet d'éclairs et de grondements. Les vélos ne sont qu'à 5 mètres de nous. Nous sommes sous les arbres. Nous avons peur. Peur de la foudre. Peur de recevoir une branche d'arbre sur la tête. Nous sursautons à la puissance de l'orage. Une demi-heure recroquevillés. A prier. Prier... Nous devenons superstitieux, sensibles aux signes... Nous savons qu'une journée exceptionnelle comme celle passée à Elista est annonciatrice d'une catastrophe. Pas manqué avec l'orage. Alors qu'un premier orage s'éloigne, un deuxième approche. Nous rangeons en quatrième vitesse toutes nos affaires, harnachons les vélos et pédalons comme des forcenés jusqu'à la prochaine ville qui n'est plus qu'à une quinzaine de kilomètres. Nous nous arrêtons chez Couistian, restaurateur routier qui nous offre un bon repas. Compréhensif au vue de la masse sombre au loin, il accepte qu'on reste quelques heures. La pluie tombe puis le soleil refait son apparition. Nous ne pourrons pas installer notre tente près du restaurant alors nous repartons. Arrêt dans une station service pour faire le plein de la bouteille du réchaud. C'est cadeau ! Au même moment, des "mafiosi" dans une BMW, nous tendent un billet de 1000 roubles pour se restaurer dans la boutique d'en face et dormir dans le motel. C'est généreux de leur part. Ne les contrarions pas !! Bon, apparemment, toutes les chambres sont prises mais nous nous régalerons avec les mets choisis par un des russes. Ils attendront dans la voiture pour nous voir partir. Nous sommes de vraies attractions!! Il est 19h passé, il est temps de trouver un coin pour dormir (et à côté d'une maison). La force de l'orage de la matinée a été telle que malgré toutes les bonnes choses qui se sont passées ensuite, notre niveau de stress est au maximum. Nous trouvons encore une fois refuge 5 km plus loin chez Mohammed, employé-éleveur de brebis. Pour atteindre la ferme, nos vélos ont droit à un bain de boue. 1,5 km de piste détrempée. La glaise bloque les roues en s'accumulant entre le pneu et le garde-boue. Nous patinons. On y arrive enfin à cette ferme sous l'aboiement d'un gros chien de garde. Les chiens jouent souvent le rôle de sonnette en Russie. Mohammed sort alors et accepte de nous abriter pour la nuit. Il vient du Caucase; parle le russe mais ne sait pas le lire, c'est donc en langage des signes que nous nous faisons comprendre. Tous nos bagages sont rentrés dans la maison qui se résume à une pièce : 2 lits simples, une cuisinière à gaz et une cuisinière à bois en guise de cheminée, une table avec TV, des tabourets et un placard. Nos bagages prennent un quart de la place dans le coin cuisine. Des plaques en bois sont vissées au plafond. Ca piaille là haut. Des oiseaux ont élu domicile sous la tôle du toit. Nous sommes obnubilés par les images d'une série policière qui passe à la télé puis inquiets quand nous voyons les images du journal de 20h montrant les inondations à Astrakan, la ville où nous nous rendons. Nous prenons juste un "tchaïe" (thé) avec lui car notre bidou est déjà bien trop rempli. Nous l'aidons le soir à rentrer sa centaine de moutons dans l'enclos en tapant des mains. Nous nous sentons de vrais gamins... fascinés... Nous sommes vraiment touchés par Mohammed. Sa condition de vie, sa gentillesse... Il ne voit pas souvent sa femme car elle travaille dans une ville plus loin. Nous voulons lui donner le reste de notre monnaie provenant de notre mafioso pour le remercier mais la présence du "boss" le lendemain matin ne nous permettra pas de le faire. Nous repartons alors déçus d'avoir raté une bonne action. Recevant beaucoup des autres, nous sentons le besoin aussi de donner un peu de nous-même.

--------- du 20 juin au 28 juin ------

Avant de partir sur la route en direction d'Astrakan, nous nous allégeons du poids de la boue engluant nos dessous de chaussures et les roues des vélos avec des petites branches d'arbustes. Il fait beau mais sommes inquiets quand même car les orages arrivent vite ici. Nous regardons autant le rétroviseur que la route pour surveiller tout changement de temps. Nous atteignons un village au bout de 40 km. Nous en profitons pour acheter dans une échoppe eau et nourriture. La marchande, heureuse de serrer la main à des touristes français, nous offre une bouteille de jus de poire pétillante. Un père de famille nous achètera des tomates et des cornichons; pour le remercier, nous posons pour la photo avec son fils. Le ciel est encore découvert, nous pensons avoir le temps de rejoindre le prochain village, à une quarantaine de kilomètres de là. Et bien non ! A mi-parcours, à notre gauche, une masse sombre au loin et des grondements nous font chercher un abri. Mais rien : pas de ferme à l'horizon, pas d'abris bus... Que de la steppe... Nous observons sa direction et décidons de stopper. Il y a de grande chance qu'il passe devant nous. Mais un autre arrive derrière et celui-là nous menace. En contre-bas de la route, une bouche d'évacuation d'eau nous accueille. Elle est assez grande pour y entasser nos bagages. Assis sur nos selles en mousse, nous logeons aussi. Nous en profitons pour manger. Nos vélos sont posés à plus de 100 mètres du tunnel. Il est 13h. Nous restons dans le tunnel 3 heures, le temps que le danger s'écarte. L'orage a bien tonné au-dessus. Nous parcourons 91km en ligne droite ce jour-là : un village seulement dépassé et un autre atteint. Nous sommes soulagés de voir au loin un paratonnerre d'une ville; signe d'une re-civilisation. Au cours de cette longue journée, nous sommes récompensés par le galop d'un troupeau de chevaux à 200 mètres de nous. Ca fait du bien de voir des animaux qui jouissent d'une grande liberté. Nous stoppons le soir chez Sergueï, un fermier rencontré seulement 5 minutes, le temps de nous montrer notre chambre avant qu'il parte travailler de nuit... Nous sommes épuisés. Je rigole d'un rien. -"fourchette" me dit Gaël. C'est l'explosion de rire nerveux. Mes rires se mêlent à mes larmes. Je sais au fond de moi que je suis en train de perdre mon meneur. Je sais que Gaël ne profite plus de ce voyage depuis quelques jours. Il veut rentrer. Il le dit. Les orages successifs ont cassé quelque chose en lui. Il a peur. Moi non plus, je ne suis plus rassurée. Les distances entre les villages commencent à devenir trop importantes et nous savons qu'au Kazakhstan, ça risque d'être pire. Nous qui étions si pressés de découvrir la steppe. Trop hostile, trop de dangers... Environnement qui ne nous correspond pas... Mais j'essaie de l'en dissuader. Il faut continuer...
Le lendemain, notre journée de vélo est courte (32km) mais riche en découvertes. Une envie de grosse commission nous stoppe à un croisement de chemins en terre. Vélo contre un poteau électrique à 30 mètres de la route, je cache mon popotin des automobilistes derrière les roues de mon vélo... A peine mon pantalon remis, voilà que des scarabées arrivent en volant de toute part et assiègent mes "excréments" pour les découper, en faire des boulettes et les emporter en roulant. Il y en a même qui se battent pour préserver leur boulette. Quel travail ! Et quel succès !! Pendant 20 minutes, nous contemplons la nature. De vrais gosses... Le temps nécessaire pour faire disparaître la moitié de mes selles. Alors, oui, la "m...." sur les photos, c'est bien la mienne ! Midi, l'heure de remplir notre estomac. Ca tombe bien. Un long abri-bus en mosaïque nous donne un peu d'ombre. J'en profite pour relire à Gaël le récit de la semaine mais au milieu d'une phrase, je stoppe. Le regard de Gaël en dit long. C'est intense. Regard brisé. Il part se réfugier derrière le mur pour éclater en sanglots. Je le prends dans mes bras et voudrais tellement lui donner toute l'énergie qu'il me reste... Je ne peux pas le rassurer pour la suite du voyage qui m'est inconnue... Je sens que je perds définitivement mon pilier. La fin du voyage approche... Et pour enfoncer le clou, c'est sous une tempête que nous finissons la journée. Heureusement, la famille de Bastide nous héberge. Vélos dans le garage et nous, à contempler les rues inondées par la fenêtre... Le vent souffle très fort. Un éclair fait disjoncter le transformateur de la ville. Attila, le fils de 11 ans, enlève alors de la fenêtre une partie d'un isolant brillant pour laisser entrer un peu de lumière dans la pièce. Des gouttes d'eau tombent du plafond dans la cuisine et l'entrée. Une fenêtre du salon fuit. Nous nous demandons comment nous ferions si nous étions en plein milieu du désert au Kazakhstan sous une tempête comme celle-ci. Nous savons qu'il y a au moins 300km à parcourir après la frontière avant de pouvoir prendre le train (soit 5 villages à atteindre avec le stress). Et pour nous rassurer un peu plus, le collègue de Bastide, nous dit qu'il y a pas mal de bandits dans les steppes et un risque de kidnapping pour moi aux alentours de Almaty, l'ancienne capitale. Sur ces paroles, nous nous endormons difficilement dans un petit lit simple. Il fait chaud dans la chambre et comme dans beaucoup de maisons russes, les fenêtres sont condamnées, impossible donc d'aérer.
Le lendemain, une journée difficile s'annonce : lever à 5h30 du matin. Nous voulons nous approcher le plus possible de la ville d'Astrakan pour nous mettre à l'abri des orages. Et pour y arriver, nous savons que nous devons rouler le plus possible à la fraîche. C'est parti pour 119 km, un record ! Et avec la mauvaise humeur d'une jeune femme dans les mauvais jours du mois. Je râle ou boude. Au lever, je m'énerve intérieurement: je ne peux même pas me mettre une serviette hygiénique, mes hôtes regardent tous mes faits et gestes. J'utilise alors une tonne de papier dans les wc extérieurs pour résoudre partiellement mon problème. Il sera heureusement résolu au milieu de la pampa quelques kilomètres plus loin. Je réfléchis trop. Je suis déçue de la tournure que prend le voyage. Je réfléchis à toutes les solutions pour continuer d'une façon ou d'une autre le périple. Prendre l'avion d'Astrakan à Almaty (Kazakhstan) pour éviter les steppes. Et la mer d'Aral que je voulais voir... Et pourquoi pas continuer en sac à dos, envoyer les vélos en France par un transporteur et acheter le matériel pour voyager léger, à pied et transports en commun... Mais tout est tellement compliqué à l'étranger... Et le visa chinois, comment allons-nous réussir à l'obtenir au Kazakhstan avec toutes les nouvelles restrictions? Tout nous fait peur. Le moindre problème prend des proportions énormes. Notre fatigue nous empêche de prendre des décisions rapides. Nous hésitons sur tout. -"tu veux t'arrêter à cette échoppe pour acheter du pain?" me demande Gaël. -"Comme tu veux!" Cette réponse devient au fil des jours répétitive. "Je te gâche ton voyage", "je te déçois"... Comment puis-je lui en vouloir? Sa réaction est tellement naturelle et humaine après toutes ces chutes, les galères accumulées, les orages pris sur la tête... Je culpabilise même de ne pas l'avoir plus épaulé. C'est lui qui allait vers les gens pour nous trouver un toit ou pour demander une direction. Je pense que je me suis peut-être trop réfugiée derrière son dos. Nous en parlons beaucoup les jours suivants. Toutes les rencontres, les péripéties : c'est peut-être un peu trop à digérer. Nous sommes fatigués. Nous nous mettons enfin d'accord: un peu de repos en France nous ferait du bien avant d'attaquer la deuxième partie de ce voyage qu'est l'Asie. Pendant cette longue journée de pédalage, nous sommes quand même récompensés de nos efforts par la rencontre d'un troupeau de chameaux. Les deux camps sont intrigués. Nous nous regardons sans trop nous approcher. Et contrairement aux vaches qui broutent en bord de route, les chameaux ne fuient pas à notre passage. Photos souvenir aussi sur des lacs salés. Nous ne pensions pas en voir en Russie. Décidément, le pays aux corbeaux nous surprend. C'est de nouveau sous la tente mais toujours près d'habitations que nous nous endormons le soir; enfin Gaël difficilement, il trouve de moins en moins le sommeil. La dizaine de piqûres de moustiques à son cou, le mal de ventre et la fatigue ne l'aident pas.
Le lendemain, les derniers kilomètres dans le delta de la Volga pour atteindre Astrakan sont un véritable calvaire. Dans l'incertitude, je me dis que ce sont peut-être les derniers tours de roues. Je suis alors exécrable. Je ne m'étais pas préparée à stopper net la magie de ce voyage. Je me ressaisis vite, mon égoïsme ne doit pas se répercuter sur mon couple et sur Gaël qui culpabilise. De toute façon, je serai bien incapable de voyager sans mon Indiana Jones. Astrakan, la ville frontière avec le Kazakhstan. C'est près du Kremlin en restauration que nous achetons une carte de la ville. Pratique pour trouver facilement le stade municipal au nord; des chambres d'arbitre sont louées pour 7€ la nuit : un bon tuyau provenant par SMS de cyclo-voyageurs. Par rapport à notre tente ou autres endroits fréquentés pour dormir, ici, c'est le luxe : calme (pas de chien pour aboyer), propre, possibilité de prendre une douche froide. D'ailleurs, elle se fait apprécier, cela faisait 5 jours que nous nous n'étions pas lavés. Vélos entreposés dans la chambre. Moustiquaire sur la climatisation pour éviter que trop de moustiques entrent dans la pièce. 3 lits simples. Une table de chevet. Nous nous posons enfin 3 jours. Le temps pour nous de réfléchir. Mais décision prise. Demain, c'est gare et aéroport que nous allons visiter pour connaître les prix, dates de départ...
Les personnes à la réception acceptent que leur téléphone soit monopolisé quelques minutes, le temps pour la famille de nous joindre. Grand soulagement à entendre leur voix. Ca nous fait du bien. Ils nous rassurent. A la gare ferroviaire, on nous annonce 30h de train pour aller jusqu'à Moscou. 1 800 roubles en classe économique (51€) et 4 800 pour un box (130€ pour la première classe), par personne. De toute façon, pour rentrer en France, il faut passer par Moscou. Il n'y a donc pas le choix. Prochain train : le 27 à 00:52. Pendant les deux prochains jours, nous nous promenons à travers la ville (sans trouver le fameux café français). Avec appareil photo autour du cou et sac à dos, nous jouons aux véritables touristes. Et nous sommes vite assaillis d'enfants qui mendient. Au marché, nous prenons pitié pour deux jeunes filles et nous leur offrons deux brioches sucrées. Nous trouvons des "internet point" dans les postes. A savoir qu'en Russie, la connexion n'est pas payante à l'heure mais au débit. Entre 20 et 37 roubles pour le début de la connexion et 3 roubles par Méga.
Jeudi 26 juin : c'est avec 5 820 km au compteur que nous achevons notre périple en Europe. Nous avons quitté notre 4 étoiles en laissant à la réception tout l'excédent de notre nourriture : café, lait en poudre, sucre, farine, pâtes... Un gros tri dans la chambre a du être fait pour limiter le poids de nos bagages et la surtaxe à l'aéroport. 20€ par kilo tout de même. Nous payons nos billets de train en liquide. Ils ne prennent pas la carte bleue, alors forcément, il y a la queue devant le distributeur. 9 000 roubles retirés en 6 retraits à cause d'un plafond. Des coupures de 50 et 100 roubles. Enorme la liasse de billets, vite dépensée. Nous sommes devant l'entrée de la gare. Il est temps de démonter les vélos avec un pincement au cœur. Nous mettons 4 heures pour tout dévisser, emballer et placer dans des cabas achetés sur place. Le tout ficelé. Pendant ce temps là, un militaire complètement saoul vient me coller en me répétant ("June !" soit Juin) avec le doigt sur mon visa. -"Da, June, Visa !!!", je lui crie. Un autre gars bourré nous aidera à monter les affaires jusqu'à la salle d'attente de la gare mais ira chercher un policier pour lui signifier que nous sommes des fous qui transportons des "vélocipèdes" dans des cabas... Le policier en question partira aussi vite qu'à sa venue en haussant les épaules. Voilà, 5 heures d'attente avant de prendre le train. Nous parlons peu. Nous ingurgitons des glaces à 0,30€ l'unité. Nous squattons les toilettes à 0,31€. Nous regardons le défilé de mode : les jeunes filles sont toutes à talon haut, courtes vêtues et au tee-shirt échancré. Minuit : nous chargeons les bagages dans le train. Tout loge sous les couchettes, même les vélos. Mais Gaël se fait des bleus aux hanches et aux épaules à porter de tels poids. Moi, je me fais aider par des passants. Soulagés d'être dans le train. Nous y dormons bien. Nous ne regrettons pas la première classe. Les box sont bien insonorisés. Aucun repas n'y est servi. Nous avons donc bien fait d'acheter fruits, pain, maïs, brioche, eau, yaourts avant de partir. La journée dans le train se résume à apprécier le paysage, jouer aux yams, écrire le récit et se reposer. Arrivée à 5h10 du matin à Moscou. Marya, une traductrice de Décathlon Russie vient nous chercher à 9h00 pour nous emmener au magasin de cette immense ville aux 15 millions d'habitants. Notre avion n'est qu'à 19h00, elle insiste pour nous faire visiter la place rouge, au centre de la ville. Sans aucun regret : magnifique! Photos souvenirs. 1h de métro moscovite pour l'atteindre : endormissements pour nous malgré le bruit assourdissant des wagons lancés à plein régime. Un grand merci encore une fois à l'organisation décathlonienne qui nous aide et nous sort de ce mauvais pas. Un taxi nous prend en charge jusqu'à l'aéroport. Il est 16h00. Nous apprenons que notre avion Air France à 1h30 de retard à cause d'une grève des agents de sol. Bah, nous commençons à être habitués d'attendre. Arrive la pesée des bagages. Chaque vélo ne coûte que 60€ (forfait vélo de moins de 17 kg). Le bagage cabine ne doit pas excéder 12 kg chacun et les bagages 2O kg. Nous faisons le compte, c'est bon, nous n'avons pas de surpoids à payer ! Nous embarquons donc près de 85kg de matériel à bord. Dans la salle d'attente, des français qui râlent... Gaël parle crûment, il oublie que les gens à côté de lui le comprennent... Décollage vers 20h30. 4 heures de vol. 2 heures de décalage horaire. Avec la fatigue, nous nous écroulons sur la tablette du siège avant... Nous songeons à tous les souvenirs merveilleux que la Russie nous a laissés; inoubliables...

the end ...